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Pourquoi penser en systémie en entreprise ?

La systémie prend aujourd’hui des airs de ‘buzzword’. Le terme s’est ainsi invité dans le débat public pour qualifier toute situation dont les contours échappent de prime abord à notre entendement – et trop souvent, pour couper court à tout effort d’investigation ultérieur. Ce constat est pour le moins paradoxal, considérant que les ouvrages fondateurs de la systémie visaient précisément à donner des clés de lecture précises de notre monde contemporain.




Ce paradoxe dissimule bien souvent une incompréhension de la notion de système, qui est confondue avec celle de complexité. Une mise au point s’impose : l’éducation, le développement des talents, l’innovation, la stratégie, le développement durable sont des phénomènes complexes, reposant sur un nombre extraordinairement important d’éléments interreliés – la systémie est la paire de lunettes que nous chaussons pour regarder cette complexité. Elle est donc une manière de se représenter le monde, un schéma cognitif qui se focalise non pas sur des éléments isolés, mais sur l’ensemble des interdépendances qui fondent un phénomène complexe. Autrement dit, elle invite à se représenter mentalement le monde comme un ensemble de systèmes.  


Mais pourquoi donc penser en systémie dans les organisations ?

Là encore, la systémie engage à penser les collectifs comme des systèmes, pour se défaire de modèles mentaux encore largement dominants dans le monde managérial. Tout particulièrement, la systémie invite à élargir notre champ de vision, à dépersonnaliser notre analyse et à faire preuve d’humilité.  

 

Et si on élargissait nos horizons ?

La prospective, la planification stratégique ou encore la définition d’une raison d’être : ces activités et pratiques organisationnelles s’emploient à élargir notre champ de vision, à se représenter le rôle et la mission de l’organisation dans son environnement. Pour autant, au quotidien, nos interprétations sont souvent circonscrites aux tâches qui nous sont confiées, en se basant sur des informations parcellaires.

A rebours de ce schéma, la systémie constitue un appel à l’adoption d’une lecture plus holistique de notre activité. Une organisation peut être appréhendée comme un système, soit un ensemble d’éléments (acteurs, outils, pratiques, comportements, etc.) interreliés, au sein duquel nous jouons un rôle. Dès lors, toute action que nous mettons en œuvre participe au fonctionnement de ce système plus large, et est influencée par celui-ci. C’est le fameux effet papillon de Lorenz : un battement d’aile (soit une petite variation) peut provoquer des effets météorologiques disproportionnés à l’autre bout du système. Les systèmes sociaux fonctionnent de la même manière : il s’avère donc essentiel de repositionner ses actions comme participant à un système plus large, et d’observer les effets à grande échelle.  En d’autres termes, il faut penser grand !

Cette capacité est loin d’être intuitive, dans la mesure où les effets de nos actions se manifestent à la fois loin dans l’espace, mais aussi dans le temps. L’absence de conséquences négatives à court terme peut conduire malencontreusement à l’interprétation d’un succès, négligeant les effets rebonds. Une approche à plus long terme apparaît ainsi comme une condition sine qua none en systémie, pour mieux comprendre notre rôle dans le système.

 

Et si on arrêtait de chercher des boucs émissaires ?

C’est un schéma souvent répété dans les organisations : lorsqu’un problème survient, la première tentation est de pointer un coupable et de l’accabler de tous les maux (et mots). Cette réaction conduit pourtant rarement à la disparition des problèmes concernés et néglige les effets adverses sur le plan relationnel.

La systémie invite a contrario à décentrer notre analyse des personnes, pour observer de façon plus holistique la structure des comportements interreliés. Un comportement, jugé non souhaitable, ne se réalise jamais de façon isolée dans l’organisation : il est pris dans un réseau de contingences, influencé et influençant d’autres comportements, mettant en jeu différents acteurs, dont nous-mêmes.

Lorsqu’une difficulté est reconnue, c’est ce réseau plus englobant qui doit être au cœur de notre réflexion. Comme le souligne les auteurs, ce sont justement les solutions et palliatifs d’hier qui sont à l’origine des problèmes d’aujourd’hui – bien davantage que la personne pointée du doigt. La systémie invite dès lors à renverser notre perspective, à reconnaître la responsabilité de l’ensemble de la structure dont nous sommes partie intégrante face à un problème rencontré.   

 

Et si… On était plus humbles et agiles ?

La notion de bonne pratique a fait les beaux jours de nombreux consultants en management, induisant la possibilité de connaître a priori les effets bénéfiques de ces pratiques. Là encore, l’expérience du réel se heurte bien souvent aux principes généraux, occasionnant souvent une certaine désillusion.

En la matière, la systémie invite à une certaine humilité dans la mise en œuvre des décisions, pour deux raisons. Premièrement, les phénomènes complexes sont animés par de perpétuelles mutations transformant leur structure, rendant ainsi caduc toute tentative d’établir une bonne pratique, valable en tout temps et tout lieu.

Deuxièmement, il est illusoire de préempter l’ensemble des effets d’une pratique a priori, car le réseau de comportements au sein duquel elle s’insère va modeler son évolution. La combinaison de cette pratique avec d’autres peut donner lieu à des émergences, i.e. des comportements imprévisibles, nouveaux et non réductibles à la pratique concernée. Comme l’indique l’adage de von Bertalanffy, « le tout est plus que la somme des parties » : l’organisation émerge et est reconfigurée en continu par ces combinaisons de comportements, ces effets impromptus, ces effets adverses, disséminés dans l’espace et le temps. Dès lors, les réponses managériales habituelles (étudier les causes, trouver un responsable, introduire une bonne pratique) s’avèrent peu adaptées.

Une approche plus humble et adaptative s’impose, invitant à se défaire des supposées bonnes pratiques et indicateurs de réussite établis a priori. La systémie engage plutôt à réfléchir globalement aux finalités que nous poursuivons (le « pour quoi ? ») et à orienter nos efforts dans cette direction, en itérant en continu les pratiques diverses qui pourraient y contribuer.

 

La systémie est un changement profond de notre manière de concevoir le monde. A cet égard, elle constitue un exercice de long cours, visant à se défaire de nos heuristiques et croyances limitantes en management. Elle est toutefois indispensable pour appréhender la complexité du monde contemporain. A l’heure où de grands bouleversements environnementaux sont en marche, l’adoption de cette perspective plus englobante, dynamique et émergente devient une voie de salut pour les managers.

 

Sources :

·       Ackoff, Russell L. (1994). Systems thinking and thinking systems.

·       Besson, S. (2023). Mise en action de l’organisation apprenante. Des concepts foisonnants vers une démarche concrète orientée parties prenantes internes.

·       Donnadieu, G., & Karsky, M. (2002). La systémique, penser et agir dans la complexité.

·       Girard, R. (2014). Le bouc émissaire.

·       Le Moigne, J.-L. (1994). La théorie du système général : théorie de la modélisation.

·       Meadows, D. (2008). Thinking in systems: A primer.

·       Senge, P. (1990). The fifth Discipline

·       Von Bertalanffy, L. (1973). Théorie générale des systèmes.

 


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