Par Loïc Fourot, Directeur Recherche & Innovation - ACT4 TALENTS
Pourquoi initier une série d’articles sur les soft skills au moment où de nombreux consultants (Josh Bersin[1], Mark LeBusque[2]) se demandent si il faut encore parler de soft skills ? Selon ces auteurs, les compétences humaines relatives au leadership, à la communication interpersonnelle et à l’esprit d’équipe sont devenues absolument déterminantes de la performance individuelle et collective. Dès lors, les qualifier de compétences « soft », n’est-ce pas les discréditer ? Pour répondre à cette question, certains commentateurs préfèrent parler de « power skills »[3]. Cette appellation reflèterait davantage la nécessité de maitriser ce type de compétences afin de faire face aux mutations du travail.
Soft skills, power skills, peu importe l’appellation pourvu que l’on parle du même sujet.
L’invention du terme « soft skill » est attribuée à l’armée américaine au milieu du siècle dernier : après avoir excellé dans la formation des soldats à manier les armes et équipements militaires, des gradés ont découvert que la façon de diriger un groupe de soldats est également déterminante du succès du groupe. Ainsi est née cette opposition entre les hard skills (les compétences dures) qui se réfèrent principalement aux compétences techniques et qui ont longtemps été perçues comme plus précieuses, et les soft skills (les compétences douces) qui désignent des capacités centrées sur l'humain.
Au cœur des débats depuis une petite dizaine d’années, les soft skills constituent un sujet suffisamment sérieux pour que le World Economic Forum[4] dresse désormais chaque année depuis 2018 dans son rapport Future of Jobs le palmarès des 10 soft skills essentielles à maîtriser afin de répondre aux enjeux du marché du travail.
Les soft skills, qu’est-ce que c’est ?
Selon diverses sources (OCDE, Todo skills[5] …), il n’existerait pas moins de 48 soft skills différentes (intelligence émotionnelle, créativité, gestion du stress, écoute, adaptabilité, esprit d’équipe …). Plutôt que de les énumérer, considérons quels sont les dénominateurs communs à toutes les soft skills :
elles contribuent au développement de soi et des autres ;
elles se matérialisent par des comportements, des savoir-être ;
elles sont transversales au sens où elles sont mobilisables quel que soit le poste ou le métier exercé ;
qu’elles soient innées ou acquises ; les soft skills peuvent être développées par l’apprentissage et la pratique.
De façon générique, les soft skills sont des compétences personnelles (par opposition aux compétences techniques) qui sont nécessaires pour réaliser des activités. Elles sont considérées comme des capacités non académiques. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il n’y a pas de définition de référence qui soit unanimement reconnue aujourd’hui des soft skills. Depuis 1999, il est successivement question de compétences comportementales[6], sociales, émotionnelles. A défaut d’une définition académique approuvée, quelques travaux font figure de référentiels sur les soft skills :
Le référentiel Barth –Géniaux (2010)[7] :
Dans le cadre d’une recherche sur la formation des futurs managers, Isabelle Barth et Isabelle Geniaux constatent que les enseignements prodigués restent essentiellement centrés sur les savoirs et les savoir-faire. Or, l’environnement de l’activité managériale a profondément évolué et requiert donc des compétences d’une autre nature. Elles définissent une liste de soft skills : la capacité à se connaître, la capacité à appréhender l’environnement, la capacité à communiquer, la capacité à s’exprimer, la capacité à gérer son temps et ses activités, la capacité à entreprendre, la capacité à agir efficacement au sein d’une équipe.
Le rapport annuel du World Economic Forum[8] :
Depuis 2016, le Forum, connu pour sa réunion annuelle à Davos (Suisse) de dirigeants d’entreprise, de responsables politiques et d’intellectuels consacrée à débattre de l’actualité de la planète intègre dans son rapport annuel la liste des 10 soft skills qu’il est indispensable de maîtriser pour le futur.
Le réseau européen Elene4work[9] :
Composé de 11 établissements d’enseignement et d’universités issus de 9 pays d’Europe, ce programme est soutenu par Erasmus depuis 2003. Il est dédié à l’identification, à la mise en œuvre et à l’évaluation des soft skills.
Les soft skills sont fréquemment classées selon 4 domaines :
la connaissance de soi (gestion du stress, compréhension de ses émotions …) ;
la relation à l’autre (empathie, écoute, travail collectif, convaincre …) ;
l’action (efficacité, gestion du temps, prise de décision …) ;
les capacités cognitives (créativité, ouverture d’esprit, apprendre à apprendre …).
Ces référentiels et classements permettent, chacun à leur façon, de caractériser les soft skills en tant que compétences transversales qui aident au développement de l’individu selon un cadre général propice à des adaptations particulières.
Les soft skills, concrètement, ça sert à quoi ?
Face aux profondes mutations que rencontre le marché du travail, caractérisé par l’avènement du numérique et des neurosciences (omniprésence de la data, robotisation accélérée par l’intelligence artificielle) et dans un contexte durable de raréfaction de la main-d’œuvre du fait du ralentissement démographique, les compétences techniques que sont les hard skills perdent de leur valeur très rapidement[10] et ne suffisent plus. Les mutations du travail bouleversent les modes d’organisation de la vie personnelle et professionnelle. La confrontation à ce monde volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA en anglais,) exige, pour s’adapter des compétences complémentaires aux compétences techniques. Dans son rapport publié en 2017 pour la France[11], l’OCDE souligne la nécessaire acquisition tout au long de la vie, et dès la formation initiale, de compétences de base et de soft skills afin de permettre la progression de carrière ou la reconversion. Les soft skills ont ainsi acquis une place similaire à celle des compétences « dures », au point que le même rapport a dû rappeler que la focalisation sur les soft skills ne devait pas faire oublier toute l’importance de développer et d’acquérir des compétences techniques, spécifiques à des métiers ou des situations professionnelles données.
Au-delà des compétences techniques, les organisations privilégient désormais des personnes profondément adaptables, capables de gérer l’incertitude. En tant que compétences humaines qui ne peuvent pas être déléguées à des robots, les soft skills permettent donc d’adapter et de renforcer les autres aptitudes et connaissances. Leur maitrise renforce également le vivre ensemble.
Les soft skills, comment les développer ?
Une des caractéristiques des soft skills tient à ce qu’elles sont pour partie innées et pour partie susceptibles d’être acquises. Les soft skills peuvent en effet correspondre à des qualités personnelles, à des traits de personnalité possédés depuis l’enfance. Elles peuvent également être apprises tout au long de la vie. Les recherches en neurosciences ont démontré que le cerveau s’adapte à son environnement. Il mobilise les différentes formes d’intelligence[12] dont chacune permet à l’être humain de choisir les moyens d’action en fonction de la situation. A titre d’illustration, l’intelligence émotionnelle définie comme la capacité à percevoir, à exprimer et à réguler ses propres émotions et celles des autres est aujourd’hui la forme d’intelligence la plus convoitée caractéristique. Le mécanisme de l’intuition en tant que capacité à imaginer des solutions au quotidien permet de s’émanciper des logiques rationnelles. L’intuition constitue à ce titre un champ d’expérimentation foisonnant. En effet, le développement des soft skills suppose de façon générale de l’entrainement : plus on s’exerce aux soft skills, plus leur maitrise est aisée.
L’acquisition et la pratique des soft skills est permise par la formation. A la différence cependant des compétences techniques qui peuvent être assimilées par apprentissage individuel, les soft skills nécessitent d’autres types de formation et notamment des interactions avec d’autres personnes pour être développées. Qu’il s’agisse de formation initiale ou de formation continue, les programmes sur les soft skills doivent mettre l’accent sur l’expérimentation dans des situations plurielles mais adaptées à chaque individu.
Les soft skills dépendent des situations individuelles et organisationnelles, leurs contours se précisent, la pratique éclaire la théorie et vice et versa. Si beaucoup de questions demeurent sur les soft skills, la nécessité de les développer est désormais un impératif pour s’adapter aux enjeux de compétences actuels et futurs. Et L’émergence des mad skills, ces aptitudes exceptionnelles voire hors du commun, confirme que le sujet des soft skills est plus que jamais d’actualité.
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Pour aller plus loin sur le sujet :
- Guyonnet, C. (2021) Soft skills, compétences douces : notions et perspectives, notions et enjeux, Note conceptuelle Etoîle Pro
- Comprendre les soft skills par Laure Bertrand Vidéo Canal Xerfi
- Lamri, J., Barabel, M., Meier, O., Lubart, T. (2022). Le défi des soft skills. Comment les développer au XXIe siècle ?, Dunod
[6] Staz, C., Brewer, D. (1999) Academic Skills at Work: Two Perspectives, Report for the Office of Vocational and Adult Education, U.S.Department of Education, Berkeley: National Center for Research in Vocational Education.
[7] Barth, I.& Géniaux I. (2010). Former les futurs managers à des compétences qui n’existent pas : les jeux de simulation de gestion comme vecteur d’apprentissage, Management & Avenir, 2010/6,n° 36
[10] Selon l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economique), une compétence technique a aujourd’hui une durée de vie moyenne qui oscille entre 12 à 18 mois.
[11]https://www.strategie.gouv.fr/debats/obtenir-bonnes-competences-presentation-rapport-france-de-locde
[12] Jusqu’à 9 types d’intelligence selon Howard Gardner (1992) Intelligence reframed : multiple intelligences for the 21st century, New York, NY, Basic Books
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